les arches du

prisme

j.p.    leclercq

 

 

 

collection balises

éditions de la grisière

Achevé d'imprimer le 15 octobre 1970 sur les presses de

l'imprimerie St-Germain-des-P'. es 9, rue Rivarol, à Bagnols (Gard)

     

 

 à Pierre Moniquet

 

 

 

 

 

 

 

 

I L'ANDROIDE DES CARREFOURS

 

 

 

 

 

 

 

 

“ ...Tant que je repose inerte immobile

Je ne fais qu'entasser la masse des choses

Je ne fais que dévorer ce monde

Par petits morceaux ainsi que fait l'insecte... ”

 

Rabindranah Tagore

 

Je regarde ce soir le malaise de cette fuite du jour vers la nuit

Ce soleil blanc irradié qui coule dans des nuages d'écume

Vainement aidé par de vaines hirondelles à leur dernière danse

Et cette obscurité au fond de la vallée déjà

Qui me serre à la gorge

J'entrerai tantôt dans cette nuit rafraîchie

Comme coupable de la débauche du jour

Avec peur et amour

Rentré dedans ma chambre et toutes mes feuilles une à une repliées dessus ma tête

L'horizon du ciel monte droit devant moi que le soleil impuissant déjà

Et splendide parcourt en sens inverse

Demain sans doute Isabelle nous aurons de la pluie

 

 

Tu bailles au bitume des toits

Et la mer s'avance au pas de ses infantes

Jusqu'à toucher l'aine

De tant et tant de fumées endormies

Qu'exhalent les mains des séraphins

Derrière les vitres embuées je suis le

Dernier muet

Muré vif en ta bouche

Et je ne quitterai ton palais

Que pour roidir tes yeux

Dans l'admiration fixe

Des terrils d'os blanchis

 

 

Bleu de palme au clair de lyre

Les deux bras blancs de Pharsale

Subrepticement se boivent aux ors du matin

Le sombre meurtre d'amour je ne l'ai pas commis

Ah! s'enfuir au jour sur le désir des licornes

Mais les vautours en sont à leur première veille

Dans trois jours

Dans trois jours

Ils me donneront la terre

 

 

Je retire lentement

Ensemble mes pattes

De chacun des joyaux que la reine morte

Incandescente porte à son front

La main au flanc momifié des inégaux

J'attends la fin des elfes

L'évanouissement des ailes des cygnes

Relevez-les vous tous qui ressemblez aux enfances

La rutilance des mondes déjà dévore mon bras

Et pèse hypothèse

Electrisée sur chacun de mes gestes

 

 

J'entends monter du bord de nos inquiétudes

La rumeur calme et impérieuse de la vallée

Au coeur de nos coudes à coudes

A la porte des nuits

Il s'en est fallu de si peu

Que celle-là soit comme toutes mes réminiscences

Inabordable

Tu remontes en moi à la fleur de mes souvenirs

Et je replonge

Dans des soirs apaisés d'août

Viens mettre encore ta main

Sur la pierre chaude de mon front

Ma dernière aube en pleine nuit

 

 

Traces et fanaux

Caresseur des vitres des premières lueurs

Le papillon

Etangs et noix d'eau

Le passage lent des dernières vierges

Les cigognes

Enfer et damnation

Mon coeur se balance au bout d'une perche

Tout contre

Un canal blond

 

 

 

Le ciel

Sous l'archet des stratus

Comme la ligne des yeux d'un visage tzigane

Mais fente

Le cri tourmenté du vert

Fuse l'arbre comme un orgue d'artifices

La flamme du vent de terre

Et chante cependant le silence horizontal en harmoniques bleues

Cette corde qui m'étire vibrée

Vers la croix des oiseaux transparent aruspice

Les mains toutefois aux archanges liées

 

 

 

Le matin bat des paupières

D'abord

Ton visage frissonné dans les saules

D'abord traverses de lumière

Les arches de l'été

Dessus ton réveil le geste étiré des nuages

J'emplis le vide du cri des alouettes

Je mouille mon visage à la rosée de tes cils

Je commence

En toi

 

 

 

Verticales de la chaleur

Comme nos bras tendus l'azur

Comme nos prunelles éblouies l'or abasourdi du soleil

Sur les mains d'un enfant

Sur les ailes de son cri

Sur l'envol de ses yeux

L'heure de midi

 

 

 

Vers moi

Plus bas que le soleil

Plus bas que l'herbe verte

A mes genoux

Viens me ficher la tête dans le voile introublé de l'

AZUR

 

 

 

 

DEDICACE

 

Aux teintes d'eau tes lèvres

Cascadeuses pailletées des nuits d'août

Aux aubes bleues tes yeux

Cormorans fleuris à la crête des vagues

Aux geysers de roses tes seins

Mousse d'écume sourde de mes enfouissements

A moi amnésique renouvelé à toutes

Les facettes de nos joies

 

 

 

 

NON RETOUR

 

 

“ ...Maîs Si je vais et cours

Dans le torrent du mouvement

Avec la masse serrée de ce monde

Tous vêtements déchirés, lacérés

Alors, le fardeau varié de la [souffrance se dissipe...

 

Rabindranah Tagore

 

 

 

 

O pulsation au sein des champs bleus

Ta chevelure d'orge aux étés de nous

Tes yeux latescents des repos de nous

Tes seins des spirales de nous

Ton ventre frissonnant de la moire calme des lacs de nous

O le bassin de tes hanches et des fontaines allumées Tes cuisses en forme de la musique orchestrée de

la vie

O pieds qui portent l'univers sur tes reins

O vagues ondulatoires d'une mer d'algues

A notre naissance

Au berceau de nos bras

 

 

 

Je marche vers toi

A travers les manèges

Mille musiques

Des orgues de barbarie dans chacun de mes nerfs

Dans tous les tirs forains

Il  y a toi

Et des soleils

Bleu et rouge je m'arrête

A toutes les lumières

Tourne la roue du toi au moi

Il  faudra que j 'éclate avec les fusées

Pour te retrouver

En plein feu

D'ARTIFICE

 

 

 

Aux frontières mauves de ma nuit s'émeut depuis trop longtemps

Un Kaléidoscope insaisissable et illusoire. J'ai fait

Tant de sauts pour atteindre les nuages

Le bleu caché des jours de mon enfance

Je gis

Face contre terre

J'attends

Les ongles dans la terre

Cette forme sombre pour laquelle

Je remonterai sur mes jarrets coupés

Pour laquelle je saisirai des mains froides en de folles courses autour de globes noircis

Intenses randonnées sans fontaines

Sans même toutes les apocalypses anciennes qui dansaient dans mon crâne

Je creuse comme les chiens fous un trou d'abîme Ton piège

 

 

 

Ecoute

Je mangerai des cailloux ronds, je m'enroulerai des cendres de nos forêts

Je serai le sol pour que tu ne te trompes pas en me voyant

Je serai une planète dure pour que chacun de tes pas me conduise

Circulairement au bout de moi-même

Je me réalise au milieu des sables

Cent mille tourbillons d'étoiles

Se déchaînent à tes lèvres paisibles

D'orage

Passe ton visage

Ta chevelure agitée du vent furieux et calme

Des comètes

Toute brûlée de diamants

Piquée de météores fugitifs à tes yeux d'aube

Ma main

Je hurle mon bras à travers

Les feux de toi

Pour t'étreindre

Orange et bleue

 

 

 

T'enlever au jour

Et disparaître à moi-même

Enclaver ta tête dans les étoiles noires

Me couper enfin

La main

Pour descendre de là-bas

Où ton pantin longtemps

Grimacera ton être

Entre deux cornes de lune

 

 

 

Partir le long de ta main

Jusqu'au bout de ton doigt

Jusqu'au vide de ta paume

Chuter, chuter

Le long de longues minutes

Jusqu'au creux de l'autre néant

Ce trou que tu fais dans ton corps

Avec mes mots

 

 

 

Don de bulles multicolores

A la voracité de tes seins bleus

Et noirs

Le vagabond lentement descend

La ligne de ton ventre

Fuselages fins de bouleaux

Que les jacinthes abattent

A coups de fuites d'outardes

Voici que s'ouvre le sexe des orchidées

Parsemées d'aisselles

Tuée par les parfums de juin il y a

A chacun de leurs pétales

TA VERACITE

 

 

 

 

 

A tes pieds s'obscurcit la vitre du rivage

Que nous franchîmes hier par les ultimes portes

En ces temps où perdus nus et passant les plages

Nous endossions enfin cette innocence forte

Largement écoutée sur des blés ressourcés

Le tambour de l'oubli frémissait dans nos ailes

Surgence neuve des granits incertifiés

Issus O Fontaines des Orients qu'épèlent

Hier et demain sombrés dans le bleu des images

Mais vient la vérité décrochée des églises

Nous tournons la tête sourds pourtant qui s'enlisent

Quand monté à cru sur les chevaux du levant

Comme une liberté équivoque et perdue

LE VENT

 

 

 

 

La langue s'était perdue

Dans les replis des archipels morts de la Nouvelle­Zemble

Tous les ostracismes pourtant

N'ont pu contraindre le sourire des filles à de marins exils

Où de moindres aventures nous auraient rappelé l'ouverture de madrépores utérins dans des paysages sans couleur

Voici cependant l'orage coralien

Aux mille éclats de dents purpurines

Déversé en nos yeux la longue aiguille d'argent dévoratrice des regards

La parole se déplie comme une droséra

Sous le souffle du soleil

Mille pupilles de lemmings évanouis au baiser des épaves sonores s'arrondissent en nébuleuses à la crête luminescente des barres

Voici la pluie de sang mise au secret du coeur perlé des huîtres

Oh! La percée soudaine des étoiles

Et le ferment triste du vent levé sur des aurores affolées

Le serpent pris au piège des racines s'entortille

Prisonnier de sa route

Les mots se nouent en écume à chaque nouvelle ferveur engloutie sur le dos d'acier poli

De dauphins à éclipses

 

 

 

 

OSTRACISMES

 

“ .~Ainsi je suis le voyageur dont les regards

[vont en avant A quoi vous servirait de m'appeler derrière...”

 

 

Rabindranah Tagore

 

 

J'accouche

Sous l'oeil indifférent des étables

Le globule inexpressif des élites

J'accouche

Parmi les têtes baladeuses des assassins

Sur le claquètement hâve de dents dégainées

J'accouche

Au fond d'un cerveau noir

Au plus beau du sourire de l'ignorance

J'accouche

Sous la tendresse épelée

Impuissante par tes lèvres

J'accouche

Parturiant en travail de mon sang

Du mot silence qui ne veut plus sortir de ma bouche

Du mot paix qui jamais ne sortit de vos mains

Du mot amour

Pour qu'il échappe à vos boîtes à malices

 

 

 

On reprendra les vieilles légendes

Pour me faire parcourir le monde

Les vieux mythes fourmillent dans mes ailes

Je   Je reperdrai un jour mon visage en cherchant vos visages

Je retrouverai à des lieues

D'ici

Les trompettes nouvelles des cors barissants

Que tarirait seul

Le retour escompté des marins

 

 

 

Les retrouvailles me seront chères

Qui te mettront à portée

De ma voix

Frère des horizons

Ami coureur de latitudes

Nos âmes méridiennes

S'évaderont ensemble

Amantes blessées des lassitudes

Flèches perdues décochées

Aux vents cardinaux

Nous étendrons nos bras à l'espace féroce

Et les compas du devenir

Peut-être obéiront à nos gestes rivaux

 

 

N'écoutez chanter la parole

qu'aux nids enfouis des regards verts

 chaque oiseau en son bec ravit au

temps l'espace de son cri  sorti

le renouveau d'une griffe à

la face des héliotropes bleus

ternit le miroir sec des empreintes

les vitres jaunies ont laissé loin

au-delà des écueils de mouettes

tout un discours évidées gonfle

le souffle les brouillards la parole

ondule sous les cils de vos mains

et la caresse d'un furet de

feuillus verse en vos hanches le voile

des vases où la lettre muette

 est que vous gardiez entre les dents

parfois vivent les écureuils aux

yeux de plancton le moment frôlé

inaccessibles j'ouis bruisser

vos jambes je déplie par dessus

la couverture du verbe ne

mourez pas avant le soir car la

parole n'est plus que hargne vive

au fond foré de derricks perplexes

 

 

 

Nous ne perdrons jamais la solitude fébrile

Des épaves que le vent a pressées à la ferveur des aiguilles

Il nous faudra ramasser les feuilles déchues que les poètes

Vierges ont jetées à la face du néant comme des cris d'alouettes

Nous perdrons la vertu des incohérences et du goût

Pour ne revivre plus que noires les roses du matin debout

Nous brûlerons du feu de nos vertus prises entre nos dents

Durcies et vitriol nous nous y

LA-C E-RE-RONS

 

 

 

 

Ecoute

Le silence suce le sang des nuages

Le souffle n'est plus qu'oreille tendue

Tremblent dans le coeur

Des cheminées d'usines éteintes

Des carreaux noirs qui s'étendent d'éclats brisés de lune

GREGORIEN

Le cri de la peur hâlé de la nuit sourde

A grands coups de poitrine

………….

Ecoute le monde rendu forêt vierge

Agrandi chaque oeil d'homme redonné

A son pelage roux

……….

Je m'enferme

La griffe va courir

Sur le papier froissé des glacis de l'attente

Les filles épouvantées de mon front

Descendre les cordes électrisées de ma fibre

Jusqu'à leurs enfants suicidés

Seul

Déclencher le maléfice de mes orgues cacophones

Faire grincer mon néant

Racler mes os

Jusqu'extraire du rien le cri strident des étoiles

 

 

 

 

Revenus

Mais non point révélés

perdus encore parmi les révélations obliques des façades inconnues

Revenus

mais non point libérés de l'ancre que nous jetâmes aux désirs sertis de corail Revenus

mais non point la lumière

mais non point la mer mauve aux embrassements longs d'aiguilles

mais non point

le moutonnement verdoyant de deux yeux sur tes seins

Revenus hélas

mais non point extirpés des asphaltes lubriques

libres tout juste

d'en finir

 

 

 

 

 

D'abord coupable du meurtre de toi et de tes comètes

D'abord avoir tendu aux mains que je coupe une main charitable

D'abord écraser les aigues marines sous mes talons ferrés

D'abord débrider ta gorge chère O ma soeur et je boirai ton sang pour l'avilir parmi mes vomissures

 

D'abord ne laisser de toi que ton oeil

          que l'éclat de ton oeil

          qu'une parcelle de reflet

qu'une lueur fine au fond de ton oeil

qui grandira

qui aveuglera nos faces de taupes des ténèbres

 

Alors le grand abîme de vent de sable saisira ma face

 Alors fondra le charbon de mes muscles les pierres dures de ma puissance noire

Alors j 'irai dans les marais perdre jusqu'à ma trace puante

 

couché dans les miasmes

confondu dans leurs exhalaisons

j 'appellerai les hommes de la paix à la table de qui je n'ai pas de place

Et alors O mes frères

Il vous faudra ENFIN me pendre

 

 

 

 

 

 

Retour parabolique

De ton cri à mon cri

Le verbe et le souffle

Traversent par nous les abîmes

S'enfuient par les mille trous

De nos plaies

Et réveillent l'humain

Au coeur flétri des écrasements

Là où plus rien

Plus rien que nos bras nus et noirs

N'avait de méfiance

 

PASSION

 

Voilà que tous se taisent

Voilà que tous embrassent

Le feu des obus

 

 

 

 

Notre temps est venu

   Frères de la mort et du soleil

Notre temps de l'homme multicolore

En cendre braise flamme et fumée

Et Si jamais nous connaissons l'amour

Attention à la fleur bigarrée

De cendre braise flamme et fumée

Nous n'irons pas plus loin qu'au-delà de la vie

Braise flamme et retour

 

 

 

 

Il remonte de la nuit

Des pas cliquetants d'hommes en marche

Lune au canon des fusils

Il remonte des âges

Les pas pressés d'une foule en rumeur

Facettes des grenades

Beaux seins de mort à leur poitrine

Constellés d'astres rouges et sonores

Noires

Noires sont les mains qui remontent à ta gorge

Noire est la seule force de nos fers et des boulets

Noir mon dos

Empalé des gratte-ciel de bleu et d'or

Noire la vesce de loup de mon crâne

Grise poussière d'âmes enfin incinérées

De suie et d'or sont nos mains sur nos fronts

Soleil au canon des fusils